Ce premier long-métrage s’inscrit dans la lignée de vos courts métrages, qui s’intéressaient à la parentalité ?
En effet, Le Sens de l’orientation racontait l’histoire d’un homme,
interprété par Fabrizio Rongione, qui n’avoue pas à sa petite amie sa
stérilité, alors que le couple essaie d’avoir un enfant. Et dans Un chien de
ma chienne, Clotilde Hesme incarnait une femme dont la soeur vit une
interminable et épuisante grossesse. Il y avait un côté comique à la limite
de la fable. Diane a les épaules me permet d’approfondir cette
thématique à travers une procréation décalée, un peu à part : une
grossesse pour autrui…
Nous vivons une époque où les territoires se redessinent au sein du couple,
de la filiation, de l’appartenance au masculin ou au féminin. L’identité
sexuelle n’est plus réduite aux catégories biologiques et les rapports de
filiation s'affranchissent du modèle parental dit traditionnel. La société s’en
trouve bousculée.
Tout au long de l’élaboration du projet, nombreux sont ceux qui m’ont
demandé de me « positionner vis-à-vis de la GPA ». Je crois qu’on ne peut
pas, en un film, formuler une pensée générique sur cette question, tant
celle-ci recèle une infinité de cas, tous différents les uns des autres. J’ai
délibérément imaginé une GPA « exemplaire », apparemment conçue
comme un pur acte de générosité. Ce qui m’intéresse c’est comment cette
situation, toute « idéale » qu’elle soit en apparence, expose mes
personnages à des dilemmes et des états émotionnels inédits. Et sur ce
champ romanesque passionnant, j’ai eu le désir de créer un personnage
féminin inédit : Diane et à travers elle interroger la notion de don.
Pour interpréter Diane, vous choisissez Clotilde Hesme.
Oui pour incarner cette créature hybride mi femme libre, mi femme ventre,
il m’était indispensable de l’envisager avec légèreté et humour et le jeu de
Clotilde Hesme est à la fois grave et délicat, désinvolte et consciencieux. Le
corps de Diane est disproportionné par rapport aux hommes qui l’entourent ; ils sont tous plus petits et plus chétifs qu’elle. Elle est « bigger than life » avec beaucoup de désinvolture. Elle en
devient un corps burlesque. Un corps désarticulé qui comme son épaule se déboite telle une poupée mal fichue. Elle est entre la femme sublime et l’ado dégingandée, totalement libre, n’
appartenant à aucun genre précisément et je ne parle pas de genre sexué. Elle est à mi-chemin entre une héroïne rohmérienne et le Lieutenant Ripley (Alien). C’est notre Sigourney Weaver ! Elle
est extrêmement belle et en même temps cela n’a aucune importance. Clotilde est une actrice à la fois très technique, précise et capable d’un grand lâcher-prise. Dans une même séquence, elle peut
être à la limite de l’expressionisme, puis revenir à plus de naturel… Cela crée des ruptures, du décalage.
Il m’était essentiel de m’amuser de toutes ces dynamiques opposées, à
l’image de son corps, libre, indépendant, d’abord en mouvement mais très
vite entravé par la grossesse.
L’architecture de la maison qu’elle reconstruit est également ronde. Plus le
ventre de Diane grossit, plus les cercles se referment autour d’elle. Ceux de
la maison, puis la clairière dans les bois, et enfin la petite piscine que lui
construit Fabrizio, comme un enclos. Elle est au centre de tout et de tous.
Le personnage de Diane aborde sa grossesse comme un acte généreux. Dans un premier temps, le don que Diane fait de son ventre ressemble à une décision inconséquente et petit à
petit, il ressemble à une mission, avec tout ce que cela suppose d’abnégation, voire de jusqu’au-boutisme et de volonté de donner un sens à ses actes.
Mais l’expérience que Diane va faire dépasse le don de soi puisqu’il s’agit à
la fin de faire un don encore plus vertigineux : un don tout court… celui de
donner un enfant. Le neuvième mois est celui d’un post-partum singulier. Le vide et la mélancolie se mêlent au soulagement, et à la joie douloureuse d’avoir
accompli quelque chose de surnaturel. Voilà pourquoi il était important d’inscrire à l’écran le décompte des mois de grossesse et de déjouer l’attente du terme. Je pouvais ainsi mettre en scène
un accouchement après l’accouchement, celui d’une émotion, d’un lâcher-prise de Diane. Dans la scène finale, ce n’est plus dans son ventre que ça se joue mais sur son visage.
Les trois personnages masculins incarnent finalement trois pères.
Dans le film je m’amuse avec l’idée que ce sont les hommes, les seuls, à
vouloir être parents de manière directe ou indirecte. Il n’a jamais été
question pour moi d’interroger la légitimité de Thomas et Jacques à
devenir les parents de l’enfant que porte Diane. Ils traversent, chacun à leur
manière, l’appréhension presque banale des futurs parents. Thomas a tout du fanfaron - un adulte dans un corps d’enfant ! - mais, à trop vouloir partager l’intimité de cette grossesse avec Diane,
ses angoisses irraisonnées prennent le dessus, le poussent à l’ingérence et menacent le rapport quasi-sororal qui l’unit à la femme qui porte son enfant. À l’opposé, Jacques mêle prestance et
pudeur. Il est en quelque sorte John Wayne tenant l’enfant emmailloté contre sa poitrine dans Le Fils du désert (Three Godfathers). Ses émotions affleurent pudiquement au milieu du tourbillon
engendré par les autres. Lui. C’est lui la mère juive, la
yiddish Mama de la chanson qu’il demande à Diane d’écouter en boucle avec appréhension en espérant que le lien filial se fera au travers d’une chanson. C’est un pari qu’il fait et qu’il gagne.
Mâle alpha contrarié, Fabrizio tente lui de composer avec cette jeune femme imprévisible, moderne, qui bouscule ses habitudes sentimentales. L’incertitude qui entoure son avenir avec Diane le
pousse à lui aussi se comporter comme un futur père en étant le garant du bon déroulé de cette grossesse qui, à la base, ne le concerne même pas !
Si on appréhende le lien que Diane va avoir avec l’enfant, on ne mesure pas
celui qui est en train de se créer avec Fabrizio. C’est aussi une autre manière de poser la question de la création du lien. N’est-ce pas en partageant une histoire forte avec quelqu’un que les
liens se nouent ? Un lien profond s’est créé, l’air de rien, avec Fabrizio. À jamais il sera le non père de son non-enfant.
Voilà quatre personnages qui se retrouvent impliqués dans l’arrivée d’un
enfant, sans qu’on puisse circonscrire leurs rôles à leurs fonctions biologiques. Ils ne prennent la pleine mesure de leur situation que lorsque celle-ci progresse et ils se laissent petit à
petit déborder par leurs sentiments. Ainsi ballotés entre leur égoïsme et leur générosité, ils révèlent ce que je guette chez eux : leur profonde humanité.